quatre poemes Apollinaire
1 ) Alcools, Zone
TEXTE
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes
Voilà la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mère ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège
Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste
Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent
C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières
C'est la double potence de l'honneur et de l'éternité
C'est l'étoile à six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'oeil
Vingtième pupille des siècles il sait y faire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l'air
Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judée
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Élie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aéroplane
Ils s'écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie
Ces prêtres qui montent éternellement élevant l'hostie
L'avion s'emplit alors de millions d'hirondelles
À tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes
Plane tenant dans les serres le crâne d'Adam la première tête
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amérique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immaculé
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellé
Le phénix ce bûcher qui soi-même s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirènes laissant les périlleux détroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musée
Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées
C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m'a regardé à Chartres
Le sang de votre Sacré-Coeur m'a inondé à Montmartre
Je suis malade d'ouïr les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possède te fait survivre dans l'insomnie et dans l'angoisse
C'est toujours près de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose
La cétoine qui dort dans le coeur de la rose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en écoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tchèques
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide
Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda
tu es à Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en état d'arrestation
tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge
tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans
J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre coeur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant
Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées
J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive
C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
EXPLICATION LINEAIRE DU POÈME
Explication linéaire de termes ou expressions
4. allusion à certaines carrosseries imitant la caisse des voitures à cheval ; allure de carrosses ;
Port-Aviation : le Bourget
11-14 : rapprochement possible avec une conversation avec le poète André Billy ;
cf. le goût d'Apollinaire pour les policiers (exemple : Fantômas)
25 : glissement de sens : jeune rue : jeunesse et même enfance d'Apollinaire
27 : son ami du collège Saint-Charles ; collaborateur des Soirées de Paris ;
allusion à son mysticisme durant l'adolescence.
31-32 : sans doute la rosace de la chapelle du collège ; litanie ; l'éternité de la religion ;
potence : la croix.
42-43 : image de l'oeil, du regard qui monte comme le regard de l'oiseau et celui de l'aviateur.
En plus : oeil associé à "cristallin" : calembour : crist(allin) : Christ ! On peut lire, en inversant :
pupille, oeil du Christ.
46 : Simon mage : Simon le magicien
47 : jeu de mots : voler avec des ailes ; voler en tant que voleur.
49 : Icare : fils de Dédale ; vola avec des ailes fabriquées par son père, mais se noya pour avoir trop approché le soleil. Élie : prophète d'Israël ; enlèvement mystérieux aux cieux ; Apollonius : magicien ou thaumaturge (faiseur de miracles) de la fin du Ier siècle ; il aurait compris le langage des oiseaux. Énoch : personnage biblique.
54 : cortège d'oiseaux ; convocation des oiseaux de partout ; élan de l'univers vers l'immortalité.
56 : ibis : échassier d'Afrique ou d'Amérique ; marabout : grand échassier.
61 : pihis : poissons pi-mus : qui n'ont qu'un oeil (aux yeux accouplés) oiseaux pi-his : qui n'ont qu'une aile (aux ailes accouplées).
64 : ocellé : parsemé d'ocelles (taches arrondies dont le centre et le tour sont de deux couleurs différentes).
65 : phénix : oiseau fabuleux qui, brûlé, renaissait de ses cendres ; sirènes : cf. Ulysse (Charybde et Scylla).
81 : allusion aux menstruations, symbole d'impureté ; un amour saignant (la rupture avec Marie).
89 : enfance à Monaco
94 : poisson se dit "ichtus" en grec : I Ch Th Us : Jésus Christ Fils (uos) de Dieu (théos).
98 : cétoine : insecte coléoptère, aux vives couleurs métalliques.
99 : agate : pierre précieuse. Saint-Vit : église où Apollinaire fut baptisé.
101 : Lazare : aveugle sauvé par le Christ.
102 : quartier juif de Prague ; les souvenirs vont à rebours, comme l'horloge.
104 : Hradchin : château royal qui domine Prague.
113 : l'affaire de la Joconde
117 : allusion à Annie et à Marie.
121 : spectateur étonné de la foi des autres au milieu des malheurs.
125 : Argentine : équivaut au Pérou.
127 : cf. l'édredon rouge, affreux, auquel Apollinaire tenait malgré les moqueries de ses amis, parce qu'il venait de sa mère.
130 : bouge : logement étroit, sale, misérable. Souvenir de ses origines : se mêle à cette population.
137 : une journée écoulée : reste la nuit !
138 : douleur d'amour par rapport à Marie ; mais pas de responsabilité de la femme.
140-143 : pitié même pour les prostituées.
146 : métive : métisse.
148 : seule solution possible : l'alcool.
152 : cf. l'art nègre : Apollinaire est un de ceux qui l'ont fait connaître. Universalité du besoin de croire.
155 : Le soleil est un cou tranché ; ironie du son : "coucou" ! soleil guillotiné ; humanité moderne décapitée. Cf. la première ébauche : "soleil levant cou tranché" (:Les soirées de Paris)
Analyse thématique
A) La religion
1. Souvenirs d'une foi très vive
Jusqu'à l'adolescence ; ensuite, persistance chronique, mais sincère, du sentiment religieux, ou nostalgie d'une foi perdue.
souvenirs : vers 2 et suivants ; tendresse nostalgique : vers 75-76 ; nostalgie d'une vie passée confiante dans la foi ; étonnement
devant les autres (vers124).
Vit aux temps d'un modernisme sceptique : honte d'entrer dans une église et de renouer avec l'ancien temps (vers 9).
Sincérité du vers 7 ; pourtant, c'est Pie X qui a interdit de danser le tango (des positions louches, selon lui !).
2. Sentiment d'une universalité des religions
Besoin de foi en chacun de nous.
D'où deux images :
- le cortège ascendant de tous les oiseaux et de tout ce qui peut monter (comme les avions) accompagne le Christ. Le Christ
(vers 40-41) fait le lien entre le monde moderne et le monde ancien ; image volontairement journalistique, donc choquante, du
vers 41.
- vers 151-153 : les autres religions expriment le même besoin que le christianisme, même si elles ont longtemps été méprisées.
B) Le modernisme
1. Apologie de la ville et de la vie modernes
Cri du début du poème ; symbole de la Tour Eiffel (1887-1889) : troupeau des ponts : les voitures.
Esthétique de la rue moderne (vers 15-24). Beauté criarde (couleurs et sons) ; beauté dans le quotidien.
Fin du rêve de beauté : vers 135-136 ; vers 144-145.
2. Le modernisme dans la poésie
Structure : vers très variés ; pas de rime ; pas de ponctuation ; pas de strophes ; pas de plan thématique suivi ; vocabulaire très
prosaïque à maints endroits.
essence de la poésie : vers 11-15 : une nouvelle esthétique en littérature.
C) L'espace et le temps
Un poème qui se déroule sur 24 heures (du matin au matin), à Paris.
Importance du souvenir qui provoque des retours en arrière de façon très anarchique, et donc des déplacements dans l'espace
(au gré des voyages effectués dans le passé par Apollinaire).
Alternance de précisions géographiques extrêmes (vers 24) et de notations des plus larges, comme les noms de pays.
Notion d'espace présente même dans Paris (dans le présent), avec le thème de la marche.
Sauts dans le temps, d'après les caprices de la mémoire (vers 25) ; une mémoire qui ne suit pas le déroulement du temps (vers
103) et procède par associations d'idées ou d'images.
Association du temps et de l'espace, dans le thème du voyage (ou de la marche) : la vie elle-même est un voyage, où l'on se
modifie (cf. les changements intervenus entre le début, claironnant, et la fin du poème, tragique).
Simultanéité des images dans le temps et dans l'espace : cf. le cubisme (qui présente simultanément différents aspects d'un être).
D) Le dialogue avec soi-même
Le personnage est tantôt destinataire (Tu) tantôt énonciateur (Je) : dédoublement de la personnalité (spectateur et acteur) ;
ubiquité (cf. le cubisme : plusieurs portraits d'un personnage sur une même toile).
Passage du "tu" au "je" : une alternance qui est parallèle à celle d'ombre et de lumière ; un visage solaire ou nocturne ; cf. les
poèmes du recueil : alternance d'optimisme ou de vision sombre du monde.
E) L'amour perdu, les femmes
Cf. les paroles d'Apollinaire qui qualifiait Zone de "poème d'une fin d'amour".
Allusion très discrète à Marie, sans intention de juger ni condamner (vers 117).
Suppression, dans la version définitive, de deux vers, de référence directe à Marie :
"L'autre, le mauvais larron, c'était une femme
Elle m'a pris ma vie, ce fut un vol infâme."
La douleur d'amour est toujours présente, mais ne doit pas être le sujet du poème.
Rôle important des femmes : cf. la vie d'Apollinaire.
Impureté, cruauté de la femme (vers 81, 139).
Condition malheureuse de la femme : vers 134, 138, 141...
La femme n'est pas coupable des malheurs de l'homme.
Explication du titre
Zone : 1. cf. le grec "zônè" : la ceinture : image d'une boucle fermée, d'un voyage qui se termine par un retour au point de départ (le matin).
2. terrains vagues qui ceinturaient Paris : évocation de la misère des bidonvilles.
3. zone franche, dans le Jura, à Étival, où Apollinaire séjourna chez des amis : une contrée mal définie, qui n'appartient à aucun pays, dans laquelle on erre.
Conclusion
Richesse du poème : richesse thématique, richesse des images ; un poème qui contient en germe ou de manière déjà développée
la plupart des aspects des autres poèmes du recueil.
Multiplicité des sens, à l'image de la richesse du poème lui-même.
Originalité d'Apollinaire
Un poème qu'on a rapproché des Pâques de Cendrars (même itinéraire, peuplé de souvenirs) ; mais originalité profonde
d'Apollinaire, aussi bien dans l'écriture que dans le choix des images. Le thème religieux n'est pas au centre du poème, comme chez Cendrars ; thème intermittent, à l'image du sentiment religieux du poète.
2) Poèmes à Lou, ( Apollinaire)
Apollinaire
D'origine étrangère (ce qui est fréquant dans le milieu artistique), il est un poète novateur comme l'indique le recueil Alcools sans ponctuation. Il est l'un des précurseurs d u Surréalisme.
Il s'agit ici d'un poème de circonstance puisqu'on assiste à des événements très précis : engagement dans la guerre, séparation avec Louise de Coligny.
C'est le caractère lyrique du poème qui développe le sentiment amoureux et la souffrance du soldat.
PROBLEMATIQUE : nous tenterons de montrer comment l'écriture parvient à lier deux univers différents et comment le poète parvient, dans un univers hostile, à exprimer son amour pour Lou.
PLAN: Dès lors; si ce texte nous montre des images de la guerre, il s'agit également d'un poème lyrique qui va permettre un dépassement de la réalité.
I ) Les images de la guerre
_lexique de la guerre: "obus" v 3, "galop" v5.
_lexique de la lumière "lueur tremblante" v1, "feu de bois" v2 mais aussi "noirceur" v9. C'est cette pénombre qui va développer le côté auditif. Cette pénombre s'associe à l'angoisse "tremblante" v1, "lamente" v3.
_perception auditive:
-"l'obus qui se lamente " v3 soutenu par une assonance en [an] + la dentale [ t ].
-"le galop" v5 : assonance en [ a ].
-"le cri sinistre" : assonance en [ i ].
_solitude: "j'écris tout seul" v 1.
C'est cet acte d'écriture qui va permettre l'expressionh d'un sentiment amoureux de la femme aimée.
II ) Un poème lyrique
_présence d'une destinatrice: poème dédicacé "à Lou" et l'apostrophe v 13 " O Lou".
_jeu sur les pronoms personnels " je " et "tu": "mon amour" v 13 et "mon coeur" v18. On a une 1re personne qui désigne la seconde. D'où le lexique amoureux: 3 x "amour" et 2x "mon coeur".
_v 21-22: focalisation sur "les yeux" de la femme aimée. Vision vers l'avenir avec cette fusion "nous" v14 et "on" v16.
L'opposition futur "donnera, connaîtra, sera " v14-17 / présent "j'écris" v 1, "se lamente" v3 évoque un espoir.
Cet amour va être capable de transfigurer le réel.
III ) Le dépassement de la réalité ou transfiguration
La passion va permettre au poète de transfigurer la réalité. L'écriture ("j'écris" v1, "trace des lignes" v9) est une forme d'évasion et lui permet de prendre des distances par rapport au monde environnant.
La nature, par analogie, permet de retrouver la femme aimée: dans l'obscurité, il la voit dans une étoile v19-21: "cette étoile dont la couleur est de tes yeux". Cette étoile le protège au niveau mental.
Cette lumière permet au poète de s'échapper de la nuit et de la guerre.
_Allégorie du "Grand Bonheur" v12, il veut atteindre un idéal.
Il y a une vision religieuse puisqu'il place le bonheur, cet amour dans l'au-delà par la présence du mot "mystique".
Plus on est dans le désespoir, plus l'espoir auquel on peut se raccrocher est surdimensionné et développe un caractère sacré.
CONCLUSION: La femme aimée est un guide vers une autre dimension qui préfigure aussi l'échec de cet amour qui est appelé à sombrer dans la guerre.
L'acte d'écriture a été pour Apollinaire, comme pour d'autres soldats, une façon de se raccrocher à la vie.
3 ) NUIT RHENANE
Introduction :
La nuit est l'espace du rêve et et des légendes. La nuit rhénane, c'est aussi la nuit de l'ivresse dans le tournoiement des figures concurrentes delà réalité et de la fable.
Poème de la brisure des vers, ce texte est aussi celui de l'ivresse des vers, avec ce sonnet cassé à qui il manque un vers. Ce poème est un jeu même si il soulève un malaise et une réflexion dur la poésie.
Nuit rhénane
Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été
Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Analyse :
I-L'univers fascinant des légendes.
Ici le poème se met à l'écoute d'un autre poème (" écoutez la chanson... " => mise en abyme)
Cet autre poème raconte une hallucination (sans doute due à l'absynthe, evoquée par les femmes aux cheveux verts, au troisième § nommée " fées ") prise comme une réalité. Ces 7 (chiffre msytique) femmes " incantent l'été ". Ces figures mystiques ont une véritable liaison avec le poète.
Cette liaison rend le lecteur mal à l'aise, ce qui est renforcé par les allitérations en v (" mon verre est plein d'un vin... "), et les voyelles nasalisées.
II- L'univers rassurant du réel.
Mais l'auteur revient rapidement au monde du réel, qui s'oppose au monde fantastique principalement par les femmes sages et stéréotypées (" les filles blondes au regard immobile et aux nattes repliées "). Il y a rejet du monde précédent (" que je n'entende plus le chant du batelier ").
La première strophe est aussi rejetée par les sonoritées: le rythme nerveux du premier vers de la 2ème § marque une rupture avec la § précédente.
III- L'ivresse et le rire.
Le poème s'ouvre en fait au premier vers sur le vin (son inspiration ?); ce thème n'est continué que dans le 3ème § et le dernier vers.
La troisième strophe est en fait un récapitulatif du poème et de la poésie d'Appolinaire en général ; c'est un monde mystique où se mélangent les oxymores poétiques (" Le Rhin le rhin est ivre... ", la répétition renforce cette idée), les " lieux-communs poétiques " (" l'ord de la nuit "), les figures légendaires (" les fées ") et les éléments bien réels (" Le Rhin... où les vignes se mirent, le Rhin est une région viticole).
Mais ce poème libérateur, amenant le rire, se brise en même tant que celui-ci :le dernier rire, l'éclat, brise le verre, l'alcool, l'inspiration du poème et donc le poème lui-même.
Conclusion :
Un poème "Apollinairien" par excellence, dominé par l'alcool, les peurs, le fantastique.
4 ) Le Pont Mirabeau
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passait
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
"Le Pont Mirabeau"
Apollinaire, Alcools (1912)
3. Plan du texte :
1ère strophe : le lieu évocateur de l'amour. C'est le Pont Mirabeau de Paris qui le fait se souvenir.
2ème strophe : la plongée dans le passé. C'est le rappel de sa liaison.
3ème strophe : la fuite de l'amour.
4ème strophe : la fuite du temps.
La Seine rappelle au poète son amour perdu.
4. Lecture méthodique
1.LA FORME POETIQUE.
a. 4 quatrains et refrain sous forme de distique (2 petit vers qui reviennent toujours)
Forme:10/4/6/10.
b. Refrain : vers impaires, heptasyllabes (élément essentiel de la musicalité depuis Verlaine)
c. 1er vers repris a la fin = circularité du poème.
d. Nombreuses répétition dont le refrain donne une impression de monotonie, de plainte, et rapproche ce texte d'une complainte.
2.L'AMBIGUITE DU TEXTE.
a. Vient de l'absence de ponctuation et du décasyllabe qui ne permet pas d'imposer un sens au texte, ce qui provoque plusieurs lecture.
b. ambiguïté du temps: dominant = présent de vérité général et de méditation. Present du subjonctif exprime un souhait.
3.ECOULEMENT DE L'EAU ET DE L'AMOUR.
1)a. l'eau = élément habituel du poème lyrique pour exprimer la fuite du temps. Elle est nommé, c'est la Seine.
b. Vbs de mouvement(:"passe", "coule", "s'en va"...) présents à toutes les strophes.
c. Répétitions, anaphore "ni".
2) expression de l'amour achevé, nostalgie, sentiments.
3) Immobilité du poème avec le pont statique, et le poète figé par sa douleur "je demeure".
5. Conclusion
On a un poème original qui reprend des termes conventionnels dans une structure où les termes, les sonorité et la dispositions des mots forment des correspondances. Seule la peine de l'auteur semble demeurer face au temps qui passe.
TEXTE
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes
Voilà la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mère ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège
Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste
Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent
C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières
C'est la double potence de l'honneur et de l'éternité
C'est l'étoile à six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'oeil
Vingtième pupille des siècles il sait y faire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l'air
Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judée
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Élie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aéroplane
Ils s'écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie
Ces prêtres qui montent éternellement élevant l'hostie
L'avion s'emplit alors de millions d'hirondelles
À tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes
Plane tenant dans les serres le crâne d'Adam la première tête
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amérique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immaculé
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellé
Le phénix ce bûcher qui soi-même s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirènes laissant les périlleux détroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musée
Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées
C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m'a regardé à Chartres
Le sang de votre Sacré-Coeur m'a inondé à Montmartre
Je suis malade d'ouïr les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possède te fait survivre dans l'insomnie et dans l'angoisse
C'est toujours près de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose
La cétoine qui dort dans le coeur de la rose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en écoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tchèques
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide
Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda
tu es à Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en état d'arrestation
tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge
tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans
J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre coeur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant
Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées
J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive
C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
EXPLICATION LINEAIRE DU POÈME
Explication linéaire de termes ou expressions
4. allusion à certaines carrosseries imitant la caisse des voitures à cheval ; allure de carrosses ;
Port-Aviation : le Bourget
11-14 : rapprochement possible avec une conversation avec le poète André Billy ;
cf. le goût d'Apollinaire pour les policiers (exemple : Fantômas)
25 : glissement de sens : jeune rue : jeunesse et même enfance d'Apollinaire
27 : son ami du collège Saint-Charles ; collaborateur des Soirées de Paris ;
allusion à son mysticisme durant l'adolescence.
31-32 : sans doute la rosace de la chapelle du collège ; litanie ; l'éternité de la religion ;
potence : la croix.
42-43 : image de l'oeil, du regard qui monte comme le regard de l'oiseau et celui de l'aviateur.
En plus : oeil associé à "cristallin" : calembour : crist(allin) : Christ ! On peut lire, en inversant :
pupille, oeil du Christ.
46 : Simon mage : Simon le magicien
47 : jeu de mots : voler avec des ailes ; voler en tant que voleur.
49 : Icare : fils de Dédale ; vola avec des ailes fabriquées par son père, mais se noya pour avoir trop approché le soleil. Élie : prophète d'Israël ; enlèvement mystérieux aux cieux ; Apollonius : magicien ou thaumaturge (faiseur de miracles) de la fin du Ier siècle ; il aurait compris le langage des oiseaux. Énoch : personnage biblique.
54 : cortège d'oiseaux ; convocation des oiseaux de partout ; élan de l'univers vers l'immortalité.
56 : ibis : échassier d'Afrique ou d'Amérique ; marabout : grand échassier.
61 : pihis : poissons pi-mus : qui n'ont qu'un oeil (aux yeux accouplés) oiseaux pi-his : qui n'ont qu'une aile (aux ailes accouplées).
64 : ocellé : parsemé d'ocelles (taches arrondies dont le centre et le tour sont de deux couleurs différentes).
65 : phénix : oiseau fabuleux qui, brûlé, renaissait de ses cendres ; sirènes : cf. Ulysse (Charybde et Scylla).
81 : allusion aux menstruations, symbole d'impureté ; un amour saignant (la rupture avec Marie).
89 : enfance à Monaco
94 : poisson se dit "ichtus" en grec : I Ch Th Us : Jésus Christ Fils (uos) de Dieu (théos).
98 : cétoine : insecte coléoptère, aux vives couleurs métalliques.
99 : agate : pierre précieuse. Saint-Vit : église où Apollinaire fut baptisé.
101 : Lazare : aveugle sauvé par le Christ.
102 : quartier juif de Prague ; les souvenirs vont à rebours, comme l'horloge.
104 : Hradchin : château royal qui domine Prague.
113 : l'affaire de la Joconde
117 : allusion à Annie et à Marie.
121 : spectateur étonné de la foi des autres au milieu des malheurs.
125 : Argentine : équivaut au Pérou.
127 : cf. l'édredon rouge, affreux, auquel Apollinaire tenait malgré les moqueries de ses amis, parce qu'il venait de sa mère.
130 : bouge : logement étroit, sale, misérable. Souvenir de ses origines : se mêle à cette population.
137 : une journée écoulée : reste la nuit !
138 : douleur d'amour par rapport à Marie ; mais pas de responsabilité de la femme.
140-143 : pitié même pour les prostituées.
146 : métive : métisse.
148 : seule solution possible : l'alcool.
152 : cf. l'art nègre : Apollinaire est un de ceux qui l'ont fait connaître. Universalité du besoin de croire.
155 : Le soleil est un cou tranché ; ironie du son : "coucou" ! soleil guillotiné ; humanité moderne décapitée. Cf. la première ébauche : "soleil levant cou tranché" (:Les soirées de Paris)
Analyse thématique
A) La religion
1. Souvenirs d'une foi très vive
Jusqu'à l'adolescence ; ensuite, persistance chronique, mais sincère, du sentiment religieux, ou nostalgie d'une foi perdue.
souvenirs : vers 2 et suivants ; tendresse nostalgique : vers 75-76 ; nostalgie d'une vie passée confiante dans la foi ; étonnement
devant les autres (vers124).
Vit aux temps d'un modernisme sceptique : honte d'entrer dans une église et de renouer avec l'ancien temps (vers 9).
Sincérité du vers 7 ; pourtant, c'est Pie X qui a interdit de danser le tango (des positions louches, selon lui !).
2. Sentiment d'une universalité des religions
Besoin de foi en chacun de nous.
D'où deux images :
- le cortège ascendant de tous les oiseaux et de tout ce qui peut monter (comme les avions) accompagne le Christ. Le Christ
(vers 40-41) fait le lien entre le monde moderne et le monde ancien ; image volontairement journalistique, donc choquante, du
vers 41.
- vers 151-153 : les autres religions expriment le même besoin que le christianisme, même si elles ont longtemps été méprisées.
B) Le modernisme
1. Apologie de la ville et de la vie modernes
Cri du début du poème ; symbole de la Tour Eiffel (1887-1889) : troupeau des ponts : les voitures.
Esthétique de la rue moderne (vers 15-24). Beauté criarde (couleurs et sons) ; beauté dans le quotidien.
Fin du rêve de beauté : vers 135-136 ; vers 144-145.
2. Le modernisme dans la poésie
Structure : vers très variés ; pas de rime ; pas de ponctuation ; pas de strophes ; pas de plan thématique suivi ; vocabulaire très
prosaïque à maints endroits.
essence de la poésie : vers 11-15 : une nouvelle esthétique en littérature.
C) L'espace et le temps
Un poème qui se déroule sur 24 heures (du matin au matin), à Paris.
Importance du souvenir qui provoque des retours en arrière de façon très anarchique, et donc des déplacements dans l'espace
(au gré des voyages effectués dans le passé par Apollinaire).
Alternance de précisions géographiques extrêmes (vers 24) et de notations des plus larges, comme les noms de pays.
Notion d'espace présente même dans Paris (dans le présent), avec le thème de la marche.
Sauts dans le temps, d'après les caprices de la mémoire (vers 25) ; une mémoire qui ne suit pas le déroulement du temps (vers
103) et procède par associations d'idées ou d'images.
Association du temps et de l'espace, dans le thème du voyage (ou de la marche) : la vie elle-même est un voyage, où l'on se
modifie (cf. les changements intervenus entre le début, claironnant, et la fin du poème, tragique).
Simultanéité des images dans le temps et dans l'espace : cf. le cubisme (qui présente simultanément différents aspects d'un être).
D) Le dialogue avec soi-même
Le personnage est tantôt destinataire (Tu) tantôt énonciateur (Je) : dédoublement de la personnalité (spectateur et acteur) ;
ubiquité (cf. le cubisme : plusieurs portraits d'un personnage sur une même toile).
Passage du "tu" au "je" : une alternance qui est parallèle à celle d'ombre et de lumière ; un visage solaire ou nocturne ; cf. les
poèmes du recueil : alternance d'optimisme ou de vision sombre du monde.
E) L'amour perdu, les femmes
Cf. les paroles d'Apollinaire qui qualifiait Zone de "poème d'une fin d'amour".
Allusion très discrète à Marie, sans intention de juger ni condamner (vers 117).
Suppression, dans la version définitive, de deux vers, de référence directe à Marie :
"L'autre, le mauvais larron, c'était une femme
Elle m'a pris ma vie, ce fut un vol infâme."
La douleur d'amour est toujours présente, mais ne doit pas être le sujet du poème.
Rôle important des femmes : cf. la vie d'Apollinaire.
Impureté, cruauté de la femme (vers 81, 139).
Condition malheureuse de la femme : vers 134, 138, 141...
La femme n'est pas coupable des malheurs de l'homme.
Explication du titre
Zone : 1. cf. le grec "zônè" : la ceinture : image d'une boucle fermée, d'un voyage qui se termine par un retour au point de départ (le matin).
2. terrains vagues qui ceinturaient Paris : évocation de la misère des bidonvilles.
3. zone franche, dans le Jura, à Étival, où Apollinaire séjourna chez des amis : une contrée mal définie, qui n'appartient à aucun pays, dans laquelle on erre.
Conclusion
Richesse du poème : richesse thématique, richesse des images ; un poème qui contient en germe ou de manière déjà développée
la plupart des aspects des autres poèmes du recueil.
Multiplicité des sens, à l'image de la richesse du poème lui-même.
Originalité d'Apollinaire
Un poème qu'on a rapproché des Pâques de Cendrars (même itinéraire, peuplé de souvenirs) ; mais originalité profonde
d'Apollinaire, aussi bien dans l'écriture que dans le choix des images. Le thème religieux n'est pas au centre du poème, comme chez Cendrars ; thème intermittent, à l'image du sentiment religieux du poète.
2) Poèmes à Lou, ( Apollinaire)
Apollinaire
D'origine étrangère (ce qui est fréquant dans le milieu artistique), il est un poète novateur comme l'indique le recueil Alcools sans ponctuation. Il est l'un des précurseurs d u Surréalisme.
Il s'agit ici d'un poème de circonstance puisqu'on assiste à des événements très précis : engagement dans la guerre, séparation avec Louise de Coligny.
C'est le caractère lyrique du poème qui développe le sentiment amoureux et la souffrance du soldat.
PROBLEMATIQUE : nous tenterons de montrer comment l'écriture parvient à lier deux univers différents et comment le poète parvient, dans un univers hostile, à exprimer son amour pour Lou.
PLAN: Dès lors; si ce texte nous montre des images de la guerre, il s'agit également d'un poème lyrique qui va permettre un dépassement de la réalité.
I ) Les images de la guerre
_lexique de la guerre: "obus" v 3, "galop" v5.
_lexique de la lumière "lueur tremblante" v1, "feu de bois" v2 mais aussi "noirceur" v9. C'est cette pénombre qui va développer le côté auditif. Cette pénombre s'associe à l'angoisse "tremblante" v1, "lamente" v3.
_perception auditive:
-"l'obus qui se lamente " v3 soutenu par une assonance en [an] + la dentale [ t ].
-"le galop" v5 : assonance en [ a ].
-"le cri sinistre" : assonance en [ i ].
_solitude: "j'écris tout seul" v 1.
C'est cet acte d'écriture qui va permettre l'expressionh d'un sentiment amoureux de la femme aimée.
II ) Un poème lyrique
_présence d'une destinatrice: poème dédicacé "à Lou" et l'apostrophe v 13 " O Lou".
_jeu sur les pronoms personnels " je " et "tu": "mon amour" v 13 et "mon coeur" v18. On a une 1re personne qui désigne la seconde. D'où le lexique amoureux: 3 x "amour" et 2x "mon coeur".
_v 21-22: focalisation sur "les yeux" de la femme aimée. Vision vers l'avenir avec cette fusion "nous" v14 et "on" v16.
L'opposition futur "donnera, connaîtra, sera " v14-17 / présent "j'écris" v 1, "se lamente" v3 évoque un espoir.
Cet amour va être capable de transfigurer le réel.
III ) Le dépassement de la réalité ou transfiguration
La passion va permettre au poète de transfigurer la réalité. L'écriture ("j'écris" v1, "trace des lignes" v9) est une forme d'évasion et lui permet de prendre des distances par rapport au monde environnant.
La nature, par analogie, permet de retrouver la femme aimée: dans l'obscurité, il la voit dans une étoile v19-21: "cette étoile dont la couleur est de tes yeux". Cette étoile le protège au niveau mental.
Cette lumière permet au poète de s'échapper de la nuit et de la guerre.
_Allégorie du "Grand Bonheur" v12, il veut atteindre un idéal.
Il y a une vision religieuse puisqu'il place le bonheur, cet amour dans l'au-delà par la présence du mot "mystique".
Plus on est dans le désespoir, plus l'espoir auquel on peut se raccrocher est surdimensionné et développe un caractère sacré.
CONCLUSION: La femme aimée est un guide vers une autre dimension qui préfigure aussi l'échec de cet amour qui est appelé à sombrer dans la guerre.
L'acte d'écriture a été pour Apollinaire, comme pour d'autres soldats, une façon de se raccrocher à la vie.
3 ) NUIT RHENANE
Introduction :
La nuit est l'espace du rêve et et des légendes. La nuit rhénane, c'est aussi la nuit de l'ivresse dans le tournoiement des figures concurrentes delà réalité et de la fable.
Poème de la brisure des vers, ce texte est aussi celui de l'ivresse des vers, avec ce sonnet cassé à qui il manque un vers. Ce poème est un jeu même si il soulève un malaise et une réflexion dur la poésie.
Nuit rhénane
Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été
Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Analyse :
I-L'univers fascinant des légendes.
Ici le poème se met à l'écoute d'un autre poème (" écoutez la chanson... " => mise en abyme)
Cet autre poème raconte une hallucination (sans doute due à l'absynthe, evoquée par les femmes aux cheveux verts, au troisième § nommée " fées ") prise comme une réalité. Ces 7 (chiffre msytique) femmes " incantent l'été ". Ces figures mystiques ont une véritable liaison avec le poète.
Cette liaison rend le lecteur mal à l'aise, ce qui est renforcé par les allitérations en v (" mon verre est plein d'un vin... "), et les voyelles nasalisées.
II- L'univers rassurant du réel.
Mais l'auteur revient rapidement au monde du réel, qui s'oppose au monde fantastique principalement par les femmes sages et stéréotypées (" les filles blondes au regard immobile et aux nattes repliées "). Il y a rejet du monde précédent (" que je n'entende plus le chant du batelier ").
La première strophe est aussi rejetée par les sonoritées: le rythme nerveux du premier vers de la 2ème § marque une rupture avec la § précédente.
III- L'ivresse et le rire.
Le poème s'ouvre en fait au premier vers sur le vin (son inspiration ?); ce thème n'est continué que dans le 3ème § et le dernier vers.
La troisième strophe est en fait un récapitulatif du poème et de la poésie d'Appolinaire en général ; c'est un monde mystique où se mélangent les oxymores poétiques (" Le Rhin le rhin est ivre... ", la répétition renforce cette idée), les " lieux-communs poétiques " (" l'ord de la nuit "), les figures légendaires (" les fées ") et les éléments bien réels (" Le Rhin... où les vignes se mirent, le Rhin est une région viticole).
Mais ce poème libérateur, amenant le rire, se brise en même tant que celui-ci :le dernier rire, l'éclat, brise le verre, l'alcool, l'inspiration du poème et donc le poème lui-même.
Conclusion :
Un poème "Apollinairien" par excellence, dominé par l'alcool, les peurs, le fantastique.
4 ) Le Pont Mirabeau
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passait
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
"Le Pont Mirabeau"
Apollinaire, Alcools (1912)
3. Plan du texte :
1ère strophe : le lieu évocateur de l'amour. C'est le Pont Mirabeau de Paris qui le fait se souvenir.
2ème strophe : la plongée dans le passé. C'est le rappel de sa liaison.
3ème strophe : la fuite de l'amour.
4ème strophe : la fuite du temps.
La Seine rappelle au poète son amour perdu.
4. Lecture méthodique
1.LA FORME POETIQUE.
a. 4 quatrains et refrain sous forme de distique (2 petit vers qui reviennent toujours)
Forme:10/4/6/10.
b. Refrain : vers impaires, heptasyllabes (élément essentiel de la musicalité depuis Verlaine)
c. 1er vers repris a la fin = circularité du poème.
d. Nombreuses répétition dont le refrain donne une impression de monotonie, de plainte, et rapproche ce texte d'une complainte.
2.L'AMBIGUITE DU TEXTE.
a. Vient de l'absence de ponctuation et du décasyllabe qui ne permet pas d'imposer un sens au texte, ce qui provoque plusieurs lecture.
b. ambiguïté du temps: dominant = présent de vérité général et de méditation. Present du subjonctif exprime un souhait.
3.ECOULEMENT DE L'EAU ET DE L'AMOUR.
1)a. l'eau = élément habituel du poème lyrique pour exprimer la fuite du temps. Elle est nommé, c'est la Seine.
b. Vbs de mouvement(:"passe", "coule", "s'en va"...) présents à toutes les strophes.
c. Répétitions, anaphore "ni".
2) expression de l'amour achevé, nostalgie, sentiments.
3) Immobilité du poème avec le pont statique, et le poète figé par sa douleur "je demeure".
5. Conclusion
On a un poème original qui reprend des termes conventionnels dans une structure où les termes, les sonorité et la dispositions des mots forment des correspondances. Seule la peine de l'auteur semble demeurer face au temps qui passe.